Il y a un an, le 7 octobre 2023, les attaques du Hamas en Israël ont provoqué une onde de choc mondiale. Dans son nouvel essai "Le 8-Octobre, généalogie d'une haine vertueuse", la sociologue franco-israélienne Eva Illouz examine les réactions controversées qui ont suivi ces événements tragiques, en particulier au sein de la gauche radicale.
Eva Illouz, née en 1961, s'intéresse à la manière dont certains groupes de gauche ont manifesté une "joie étrange" ou une "indifférence" face aux massacres. Elle souligne que pour certains, ces attaques contre des civils ont été perçues comme un acte de "résistance" du peuple palestinien. La philosophe américaine Judith Butler, connue pour ses travaux sur le genre, fait partie de ceux qui ont adopté cette perspective.
L'auteure met en lumière l'augmentation des actes antisémites dans différents pays suite à ces événements. Les campus universitaires, traditionnellement des lieux de débats politiques et sociaux, ont été le théâtre de tensions lors de mobilisations pro-palestiniennes. Eva Illouz observe que la gauche s'est montrée divisée et maladroite dans sa solidarité, notamment sur la question de l'antisémitisme en son sein.
Dans son analyse, Eva Illouz critique l'influence de certaines interprétations de la pensée postcoloniale sur les milieux progressistes les plus radicaux. Le postcolonialisme, une approche critique des effets du colonialisme apparue dans les années 1990, a selon elle conduit à une forme d'"antisémitisme vertueux" dans certains cercles.
L'essai d'Eva Illouz examine les racines de cette dérive idéologique dans les sciences humaines. Elle reconnaît l'importance de la critique de l'Occident, des entreprises coloniales européennes et de l'impérialisme américain. Cependant, elle souligne que la French Theory, un courant de pensée postmoderne développé dans les années 1960-1970 par des philosophes comme Jacques Derrida, Michel Foucault et Gilles Deleuze, a conduit à une remise en question problématique du savoir.
Eva Illouz reste attachée aux idéaux de gauche et à la lutte pour la dignité humaine. Elle ne nie pas les critiques légitimes envers la politique du gouvernement israélien. Néanmoins, elle dénonce fermement ce qu'elle appelle un "antisémitisme vertueux", qui cherche à justifier moralement la haine envers les Israéliens. Pour la sociologue, cette approche constitue un détournement de la cause palestinienne.
L'ouvrage d'Eva Illouz, publié aux éditions Gallimard, contribue au débat transatlantique sur ces questions complexes. Il invite à une réflexion nuancée sur les dérives idéologiques et l'importance de maintenir une pensée critique équilibrée, même face aux conflits les plus polarisants.