Le roman envoûtant d'Irene Sola : un voyage dans l'histoire catalane

Dans son deuxième roman, "Je t'ai donné des yeux et tu as regardé les ténèbres", l'écrivaine catalane Irene Sola nous plonge dans un univers envoûtant, mêlant réalité et fantastique. Ce récit poétique, publié deux ans après son premier ouvrage acclamé, explore l'histoire d'une famille catalane sur quatre siècles, tissant habilement les fils de la sorcellerie, de la solidarité féminine et de l'histoire espagnole.

L'histoire se déroule dans un mas isolé des Pyrénées, ces montagnes majestueuses qui séparent la France et l'Espagne depuis des millénaires. Le roman se concentre sur deux personnages principaux : Bernadeta, une femme âgée en fin de vie, et Margarida, qui veille sur elle. La narration entrelace leurs expériences, créant un tableau saisissant qui rappelle les œuvres fantastiques de Jérôme Bosch, le célèbre peintre néerlandais du XVe siècle.

Irene Sola imprègne son récit d'une sensualité palpable, puisant dans les contes et légendes catalans pour créer une atmosphère unique. Cette approche reflète la riche tradition du folklore catalan, qui regorge d'histoires impliquant des êtres surnaturels et des événements mystérieux. La prose de Sola évoque le concept espagnol de "duende", cette force créatrice mystérieuse qui imprègne l'art et la littérature.

Le roman explore l'histoire de plusieurs générations de femmes, chacune marquée par des expériences uniques et souvent tragiques. Cette narration multigénérationnelle permet à l'auteure d'aborder des thèmes complexes tels que la condition féminine en Espagne, qui a considérablement évolué depuis la fin du franquisme. Les personnages féminins du roman font face à diverses formes d'adversité, rappelant les œuvres d'autres écrivaines catalanes comme Mercè Rodoreda, connue pour ses romans sur la condition féminine.

L'absence des hommes est un thème récurrent dans le récit. Certains ont été tués pendant les guerres avec la France, d'autres ont disparu pendant la guerre civile espagnole de 1936-1939. Cette période sombre de l'histoire espagnole a profondément marqué la littérature du pays au XXe siècle, et Irene Sola s'inscrit dans cette tradition en explorant ses répercussions sur plusieurs générations.

La solidarité entre les femmes est au cœur du roman. Les personnages féminins partagent leurs expériences, leurs peines et leurs joies, formant une communauté soudée face à l'adversité. Cette thématique reflète un courant important de la littérature féministe espagnole contemporaine.

"Toutes les femmes dont il est question sont en réalité mortes, sorcières d'un sabbat frénétique."

Cette révélation ajoute une dimension supplémentaire au récit, le rapprochant du réalisme magique, un genre littéraire populaire en Espagne et en Amérique latine. L'idée que la plupart des personnages sont des esprits préparant un banquet pour accueillir Bernadeta dans l'au-delà ajoute une couche de profondeur symbolique à l'histoire.

Le roman d'Irene Sola est un témoignage puissant de la vitalité de la littérature catalane contemporaine. En mêlant tradition et modernité, l'auteure crée une œuvre qui résonne avec l'histoire riche et complexe de la Catalogne tout en abordant des thèmes universels. Son approche poétique et sensorielle offre aux lecteurs une expérience littéraire unique, les invitant à explorer les recoins sombres et lumineux de l'âme humaine.