La confiscation des biens de l'Église : un héritage révolutionnaire durable

En 1789, l'Assemblée nationale confisque les biens de l'Église pour résoudre la crise financière. Cette décision a eu des répercussions politiques et religieuses jusqu'au XXe siècle, façonnant la France moderne.

10 octobre 2024, 08:03  •  0 vues

La confiscation des biens de l'Église : un héritage révolutionnaire durable

En 1789, la nouvelle Assemblée nationale française se trouvait face à un défi financier colossal. La dette publique, héritée du régime précédent, dépassait 100% des recettes de l'État. Cette situation précaire a conduit à une décision audacieuse qui allait marquer l'histoire de France.

Le 2 novembre 1789, l'Assemblée nationale a voté une résolution cruciale : la confiscation des propriétés ecclésiastiques. Cette mesure, adoptée par 568 voix contre 346, visait à résoudre la crise financière tout en évitant d'augmenter les impôts, une option impopulaire auprès des classes aisées et moyennes qui dominaient l'Assemblée.

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Les biens de l'Église représentaient une part considérable de la richesse nationale, couvrant 6,5% du territoire français et 10% des terres agricoles. Leur valeur équivalait à près de la moitié du produit intérieur brut de l'époque. Cette décision a eu des conséquences immédiates et à long terme sur la société française.

La loi du 14 mai 1790 a organisé la vente de ces biens nouvellement confisqués, auxquels se sont ajoutés en 1793 ceux des aristocrates émigrés. Cette redistribution des terres a profité à environ 10% des ménages français, créant une nouvelle classe de propriétaires terriens.

Bien que l'effet positif sur les finances publiques ait été de courte durée, en raison des coûts de guerre et de la dévaluation des assignats, l'impact politique de cette décision s'est avéré durable. Une étude récente menée par Louis Rouanet et Ronan Tallec, présentée le 3 juillet 2024 à l'École d'économie de Paris, a mis en lumière ces effets à long terme.

Les chercheurs ont découvert une corrélation significative entre la valeur des biens nationaux vendus pendant la Révolution et les résultats électoraux à la fin du XIXe siècle. Leurs travaux montrent qu'un point de valeur supplémentaire de biens nationaux vendus réduisait le vote monarchiste de 15 à 25 points. Sans ces ventes, les monarchistes auraient probablement remporté 70% des circonscriptions lors des élections de 1876.

L'étude révèle également que la vente des biens nationaux a eu un impact durable sur la religiosité en France. Une plus forte valeur de biens nationaux vendus était associée à une diminution de la religiosité catholique (de 25% à 31% par point) et à une augmentation de la religiosité protestante. Fait remarquable, cet effet était encore observable en 1947, près de 160 ans après la décision initiale.

Cette redistribution des terres a donc joué un rôle crucial dans l'établissement et la consolidation de la République française, influençant profondément le paysage politique et religieux du pays pendant plus d'un siècle. Elle illustre comment une décision économique prise dans un contexte de crise peut avoir des répercussions durables sur la structure sociale et politique d'une nation.

"Les biens de l'Église doivent servir à résoudre la crise financière de l'État."

Talleyrand, alors évêque d'Autun, le 10 octobre 1789

La confiscation des biens de l'Église pendant la Révolution française reste un exemple frappant de la façon dont les crises financières peuvent catalyser des changements sociaux et politiques profonds. Cette décision a non seulement contribué à résoudre une crise immédiate, mais a également façonné l'avenir de la France, renforçant les idéaux républicains et laïques qui caractérisent la nation aujourd'hui.