Kibera : le danger mortel des raccordements électriques illégaux

Dans le plus grand bidonville d'Afrique, à Nairobi, les branchements électriques illégaux causent de nombreux décès. Malgré les risques, les habitants persistent par nécessité économique.

3 octobre 2024, 14:13  •  28 vues

Kibera : le danger mortel des raccordements électriques illégaux

Dans le bidonville de Kibera, situé à 6 km au sud du centre de Nairobi, la capitale du Kenya, un danger invisible menace quotidiennement la vie de ses quelque 500 000 habitants. Les raccordements électriques illégaux, omniprésents dans ce qui est considéré comme le plus grand bidonville d'Afrique, sont à l'origine de nombreux décès par électrocution et d'incendies dévastateurs.

Le problème est si répandu que les habitants ont ironiquement surnommé le système d'électrification informel "Kibera Power", en référence à Kenya Power, la société publique d'électricité du pays. Selon le bureau national des statistiques, environ 680 000 foyers au Kenya seraient concernés par ces branchements illicites, bien que Kenya Power conteste ce chiffre sans fournir d'alternative.

Les conséquences de ces installations dangereuses sont tragiques. Entre 2019 et 2021, 345 personnes sont mortes électrocutées dans le pays. À Kibera, les enfants sont particulièrement vulnérables. En août 2023, une fillette de 6 ans a perdu la vie dans des toilettes après avoir touché un mur en contact avec un câble dénudé. Trois mois plus tard, une enfant de 12 ans est décédée en marchant sur un câble électrique.

Renice Owino, fondatrice de l'association Code With Kids, témoigne :

"Souvent, quand il pleut trop, les parents n'envoient pas leurs enfants à l'école pour éviter les accidents."

Les raisons économiques expliquent en grande partie la persistance de ces branchements illégaux. Isaac, un coiffeur local, explique qu'il paie 500 shillings kényans (environ 3,50 euros) par mois pour son raccordement non autorisé, contre 1 500 à 2 000 shillings s'il était légalement connecté à Kenya Power. Pour de nombreux habitants de Kibera, cette différence est cruciale dans un contexte de pauvreté généralisée.

Les incendies sont une autre conséquence dramatique de ces installations précaires. Agnès, une résidente de 45 ans, raconte :

"Il y a deux ans, le feu a pris chez des voisins à cause d'un mauvais branchement électrique. Les vêtements qui séchaient sur un fil se sont enflammés. Tout a brûlé."

Derrière ces raccordements illégaux se cache ce que les habitants appellent le "cartel de l'électricité". Patrick Naef, anthropologue à l'université de Genève, explique :

"Au Kenya, les cartels sont entre l'organisation criminelle et l'entente économique. Ce sont des structures qui veulent avoir l'air légitimes et qui peuvent avoir des liens avec les pouvoirs en place."

Ce cartel collecterait les paiements mensuels, menacerait les employés de Kenya Power et aurait des connexions jusqu'au ministère de l'énergie. En mars 2023, le ministre de l'énergie et du pétrole, James Wandayi, a reconnu que le secteur était "infesté par les cartels".

Malgré les risques évidents, la situation persiste. Chaque année, à l'approche de la petite saison des pluies en novembre, les parents de Kibera rappellent à leurs enfants de ne pas toucher les murs en allant à l'école, illustrant la normalisation tragique de ce danger mortel dans leur vie quotidienne.

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Cette situation alarmante à Kibera met en lumière les défis plus larges auxquels le Kenya est confronté. Bien que le pays possède la plus grande économie d'Afrique de l'Est et soit connu pour ses parcs nationaux et ses réserves naturelles, il lutte encore contre des problèmes d'infrastructure et de pauvreté urbaine. Alors que Nairobi se développe rapidement, l'écart entre les quartiers aisés et les bidonvilles comme Kibera reste frappant, soulignant les inégalités persistantes dans ce pays d'Afrique de l'Est qui a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1963.