Dans un contexte où la surveillance technologique ne cesse de s'intensifier, le terme "Technopolice" prend tout son sens. Introduit en 2019 par La Quadrature du Net, une organisation fondée en 2008 pour défendre les libertés numériques, ce concept fait désormais l'objet d'un ouvrage approfondi.
Félix Tréguer, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), vient de publier "Technopolice : La surveillance policière à l'ère de l'intelligence artificielle" aux éditions Divergences. Ce livre, paru le 11 octobre 2024, examine l'évolution des technologies de surveillance et leur impact sur la société française.
L'ouvrage se penche notamment sur la vidéosurveillance algorithmique (VSA), une innovation majeure introduite par la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. Cette technologie, qui analyse automatiquement les flux vidéo à la recherche de comportements suspects, soulève de nombreuses questions éthiques et pratiques.
Tréguer met en lumière ce qu'il appelle la stratégie des "petits pas" : une approche progressive visant à normaliser l'utilisation de ces technologies de surveillance. Cette méthode consiste à introduire d'abord des applications moins controversées de la VSA, pour ensuite étendre son utilisation à des domaines plus sensibles, comme la reconnaissance faciale.
Il est important de noter que la première loi française sur la vidéosurveillance date de 1995, bien avant l'avènement de ces technologies avancées. Depuis, le paysage technologique a considérablement évolué, avec l'émergence du "big data" au début des années 2000 et l'adoption du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2018.
Malgré l'enthousiasme des autorités pour ces nouvelles technologies, Tréguer souligne le manque d'études scientifiques rigoureuses sur leur efficacité réelle. Il cite l'exemple d'une étude menée dans une grande ville du sud de la France, où la VSA était utilisée pour détecter les dépôts sauvages d'ordures. Les résultats ont montré qu'une alerte sur deux était un faux positif, remettant en question la fiabilité de ces systèmes.
Cette situation rappelle les débuts de la vidéosurveillance urbaine en France, dont le premier système a été installé à Levallois-Perret en 1991. Depuis, la technologie a considérablement évolué, passant des simples caméras aux systèmes intelligents actuels.
"C'est-à-dire une manière d'accoutumer, d'imposer ces technologies de vidéosurveillance algorithmique petit à petit, en se concentrant d'abord sur des cas d'usage relativement peu sensibles du point de vue des libertés publiques, mais dans un processus de légalisation qui, bien évidemment, pourra aller jusqu'à des applications les plus controversées de la VSA, notamment la reconnaissance faciale."
Il est crucial de rappeler que le concept de "société de surveillance" a été développé par le sociologue David Lyon dans les années 1990, bien avant l'avènement de ces technologies avancées. Aujourd'hui, avec l'essor des "smart cities" et l'omniprésence des caméras connectées, ces préoccupations sont plus pertinentes que jamais.
Alors que nous attendons le rapport d'évaluation de l'expérimentation de la VSA, prévu pour la fin de l'année 2024, il est essentiel de maintenir un débat public éclairé sur ces questions. Le livre de Tréguer contribue à cette réflexion, en nous rappelant l'importance de protéger nos libertés à l'ère numérique, tout comme la loi française sur la protection des données personnelles le fait depuis 1978.