Le chef-d'œuvre pionnier d'Ousmane Sembène enfin sur grand écran

58 ans après sa création, "La Noire de..." d'Ousmane Sembène, premier long-métrage d'Afrique subsaharienne, sort en salle en France. Ce film intemporel sur la colonisation reste d'une pertinence saisissante.

6 octobre 2024, 03:39  •  0 vues

Le chef-d'œuvre pionnier d'Ousmane Sembène enfin sur grand écran

Le 9 octobre 2024, le public français aura enfin l'occasion de découvrir sur grand écran "La Noire de...", un film emblématique du cinéaste sénégalais Ousmane Sembène. Réalisé il y a 58 ans, ce long-métrage est considéré comme le premier film d'Afrique subsaharienne et demeure une œuvre majeure du cinéma africain.

Ousmane Sembène, souvent appelé le "père du cinéma africain", a réalisé ce film en 1966, basé sur sa propre nouvelle. Autodidacte, il n'a commencé sa carrière cinématographique qu'à 40 ans, après avoir été romancier. Son approche a été influencée par le néoréalisme italien et le cinéma soviétique, notamment les œuvres de Sergei Eisenstein.

"La Noire de..." raconte l'histoire de Diouana, une domestique sénégalaise travaillant pour un couple français. Le film, tourné en noir et blanc et en 35 mm, utilise habilement les flashbacks pour narrer son parcours. Mbissine Thérèse Diop, qui incarne Diouana, n'avait jamais joué dans un film auparavant, Sembène privilégiant les acteurs non professionnels.

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Le film aborde des thèmes universels tels que la violence de classe et la colonisation, transcendant la simple opposition entre Blancs et Noirs. Thierno Ibrahima Dia, rédacteur en chef d'Africiné, souligne :

"Parce que les personnages sont archétypaux et le sujet simple, le film demeure universel et intemporel. L'œuvre ne se limite pas à une opposition entre Blancs et Noirs, entre colons et colonisés, mais porte une réflexion sur la possibilité de dire "je", de s'affirmer en tant que sujet."

L'analyse de Thierno Ibrahima Dia

Malgré sa pertinence, le film a connu un parcours difficile. Interdit au Sénégal à sa sortie en raison de sa critique du néocolonialisme, il a néanmoins remporté le Prix Jean Vigo en 1966 et a été présenté aux festivals de Cannes et de Venise la même année.

En 2015, "La Noire de..." a bénéficié d'une restauration 4K par The Film Foundation, une association fondée par Martin Scorsese en 1990. Cette version restaurée a été projetée lors de prestigieux festivals, mais ce n'est que maintenant que le grand public français peut le découvrir en salle.

Jean-Fabrice Janaudy, directeur adjoint des Acacias, la société qui distribue le film, reconnaît : "Si les ressorties de films asiatiques fonctionnent à plein en France, ce n'est pas encore le cas pour le cinéma africain". Il est cependant convaincu du potentiel du film pour toucher un large public, notamment les jeunes et ceux issus de l'immigration.

"La Noire de..." reste un témoignage puissant de l'époque post-coloniale, utilisant à la fois le français et le wolof pour raconter son histoire. Tourné avec un budget limité entre le Sénégal et la France, le film a ouvert la voie au cinéma de la diaspora africaine.

Cette sortie en salle offre une opportunité unique de redécouvrir ce chef-d'œuvre du cinéma africain, dont la pertinence et la force narrative continuent de résonner près de six décennies après sa création.