Dans son dernier ouvrage, "L'Odyssée d'Abdoul. Enquête sur le crime organisé", Audrey Millet, historienne et chercheuse à l'Université métropolitaine d'Oslo, lève le voile sur les rouages complexes du trafic d'êtres humains. À travers le récit poignant d'Abdoul, un tailleur ivoirien, l'auteure nous plonge dans les méandres de la criminalité organisée, de l'Afrique subsaharienne à l'Italie.
L'approche narrative choisie par Millet offre une perspective unique sur un phénomène global. En suivant le parcours d'Abdoul, le lecteur est transporté d'Abidjan à Prato, en passant par Agadez et la Libye. Ces lieux, malgré leurs différences géographiques, partagent un point commun tragique : l'exploitation humaine. La traite des êtres humains, troisième forme de criminalité organisée la plus lucrative au monde, génère des milliards de dollars chaque année, touchant des millions de victimes.
Le livre met en lumière l'interconnexion des différentes mafias impliquées dans ce trafic. La Camorra, la 'Ndrangheta, Cosa Nostra, les "Cults" nigérians et les groupes chinois Wenzhou forment une chaîne d'exploitation où chaque maillon joue un rôle crucial. Cette imbrication complexe rend la lutte contre ces réseaux particulièrement ardue.
"Toutes ces mafias sont imbriquées comme une chaîne de vélo : s'il y a un maillon de la chaîne qui saute, vous tombez."
L'histoire d'Abdoul illustre parfaitement les mécanismes insidieux de ces réseaux. Sans s'en rendre compte, il se retrouve pris dans l'engrenage de l'exploitation, passant de main en main à travers différents pays. Agadez, au Niger, est décrite comme un point névralgique des trafics, où convergent les routes migratoires contrôlées par des groupes criminels.
Le parcours se termine à Prato, ville italienne réputée pour son industrie textile. Millet dépeint cette cité comme un microcosme où différentes mafias se partagent le contrôle, chacune ayant sa "part du gâteau". Cette métaphore saisissante souligne la complexité de la situation et l'ampleur du problème.
L'auteure n'épargne pas les multinationales, qu'elle décrit comme la "cloche qui recouvre tout cela". Cette critique fait écho aux nombreuses accusations portées contre l'industrie de la mode, souvent pointée du doigt pour ses pratiques d'exploitation de la main-d'œuvre et son manque de transparence dans la chaîne d'approvisionnement.
En conclusion, "L'Odyssée d'Abdoul" offre un éclairage précieux sur les mécanismes du trafic d'êtres humains, mêlant rigueur académique et narration captivante. Ce livre contribue à sensibiliser le public sur un enjeu majeur de notre époque, rappelant l'urgence de lutter contre ces formes modernes d'esclavage.