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Le bal masqué de Reinach : un tourbillon littéraire d'hospitalité

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Sophie Rabau réinvente Sappho dans un bal costumé mêlant histoire et fiction. Cette œuvre explore l'hospitalité et l'universalité, tout en évoquant le destin tragique de la famille Reinach.

Au XVIIe siècle, l'art de la parodie était hautement apprécié pour sa capacité à renouveler la lecture des textes classiques. Aujourd'hui, Sophie Rabau perpétue cette tradition avec brio dans son ouvrage "Le Bal masqué de Théodore Reinach".

L'auteure, déjà remarquée pour son roman "Carmen, pour changer", nous transporte cette fois-ci dans un univers où Sappho, la célèbre poétesse grecque du VIIe siècle avant J.-C., est réinventée en guitariste moderne avec un penchant pour l'alcool et le cannabis. Cette transformation audacieuse s'inscrit dans la lignée des exercices parodiques appréciés il y a plus de trois siècles.

Le cadre de ce récit est un bal costumé organisé par Théodore Reinach (1860-1928) dans sa somptueuse villa Kérylos. Construite au début du XXe siècle à Beaulieu-sur-Mer, près de Nice, cette demeure unique allie le luxe de la Grèce antique aux commodités modernes. L'architecte Emmanuel Pontremoli, Grand Prix de Rome en 1890, a su créer un véritable joyau architectural, classé monument historique depuis 1966.

Dans ce décor fastuant, Rabau fait tourbillonner une pléiade de personnalités réelles et fictives. On y croise Isadora Duncan, pionnière de la danse moderne, enseignant ses techniques à Reinach. Maria Callas, la plus grande soprano du XXe siècle, y interprète Casta Diva. Les familles Ephrussi et Rothschild, célèbres dynasties bancaires, sont également de la partie.

Le bal, animé par Sappho, est narré en huit versions différentes, chacune adoptant un rythme distinct - valse, fox-trot, farandole. L'arrivée de Violetta Valéry, l'héroïne de La Traviata, ajoute une touche d'opéra à cette chronique mondaine déjà éblouissante.

Le défilé des invités s'enrichit de figures historiques et artistiques : la comtesse Greffulhe, muse de Proust, Jean Cocteau, polymathe français, Pablo Picasso, maître du cubisme, mais aussi des personnages littéraires comme Manon Lescaut, et même le génie grec Archimède ou le maître du suspense Alfred Hitchcock.

"Les juifs ne faisaient guère que partager les malheurs de la population tout entière."

Théodore Reinach, dans son Histoire des Israélites (1885)

Cependant, Rabau ne se contente pas de cette assemblée prestigieuse. Elle introduit des figures contemporaines tragiques, comme Abdelhak Goradia et Ayman Karawani, victimes de violences policières et de naufrages en Méditerranée. Ce choix audacieux souligne le thème central de l'hospitalité et de l'universalité.

L'œuvre nous rappelle que la France républicaine était perçue comme le pays de la raison universelle, tandis que la Grèce représentait la source de toute beauté. Cette vision idéalisée contraste cruellement avec la réalité historique, notamment illustrée par le destin de la famille Reinach.

Théodore Reinach, auteur d'une "Histoire des Israélites" en 1885, y relativisait la nature des pogroms en Allemagne. Tragiquement, il ne pouvait prévoir que son fils Léon serait déporté avec sa famille par les nazis environ 60 ans plus tard, vers 1945.

Ce bal masqué littéraire, mêlant avec virtuosité l'histoire, la fiction et la tragédie contemporaine, nous offre une réflexion profonde sur l'hospitalité, l'universalité et les leçons souvent oubliées de l'histoire.

Mercer Bergeron