La communauté universitaire argentine est en ébullition. Depuis le 10 octobre 2024, une grève massive paralyse les établissements d'enseignement supérieur du pays, en réaction au veto du président Javier Milei sur une loi visant à revaloriser le financement des universités. Cette décision a provoqué une onde de choc dans un pays où l'éducation publique gratuite est une tradition de longue date.
L'Université de Buenos Aires (UBA), fondée en 1821 et fleuron de l'enseignement supérieur argentin, est au cœur de cette mobilisation. Cette institution, qui a formé cinq lauréats du prix Nobel, voit aujourd'hui ses activités de recherche et d'enseignement gravement menacées par les restrictions budgétaires.
Alejandro Nadra, biologiste à l'UBA, témoigne de cette situation alarmante :
"Je suis très triste. La dernière fois que j'ai pu acheter le matériel nécessaire à mes recherches, c'était en novembre 2023"
Ses travaux sur les bactéries capables de détecter des éléments toxiques comme le plomb ou l'arsenic sont désormais compromis, faute de moyens.
La mobilisation ne se limite pas aux enseignants-chercheurs. Des milliers d'étudiants occupent les campus universitaires à travers le pays, déployant des banderoles et organisant des assemblées. Cette jeunesse, consciente de l'importance de l'éducation dans un pays qui affiche le taux d'alphabétisation le plus élevé d'Amérique latine (98,1%), est déterminée à défendre son avenir.
Le veto présidentiel, approuvé par la chambre des députés le 9 octobre 2024, s'oppose à une revalorisation qui visait à compenser les effets dévastateurs de l'inflation. Avec un taux annuel de 209%, l'Argentine fait face à une crise économique majeure qui érode le pouvoir d'achat des enseignants et met en péril le fonctionnement des institutions universitaires.
Javier Milei, économiste de formation devenu président en décembre 2023, justifie sa décision par la nécessité d'atteindre l'équilibre budgétaire. Son gouvernement se félicite d'avoir ramené l'inflation mensuelle à 3,5% en septembre 2024, le taux le plus bas depuis novembre 2021. Cependant, cette politique d'austérité a un coût social élevé.
Les universités publiques, piliers du système éducatif argentin qui compte 47 établissements nationaux, ont vu leur budget chuter de 30% en 2024 par rapport à l'année précédente. Une situation inédite depuis deux décennies, qui menace la qualité de l'enseignement et de la recherche dans un pays qui consacre habituellement 6% de son PIB à l'éducation.
Les conséquences pour le personnel universitaire sont dramatiques. Selon le Conseil universitaire national, 70% des salaires des enseignants et chercheurs sont désormais inférieurs au seuil de pauvreté. Cette précarisation risque d'entraîner une fuite des cerveaux, mettant en péril l'excellence académique argentine.
La crise universitaire s'inscrit dans un contexte plus large de tensions économiques et sociales. L'Argentine, 8ème plus grand pays du monde en superficie, fait face à des défis structurels majeurs. Le pays a connu huit défauts de paiement sur sa dette souveraine depuis son indépendance, et le peso a perdu plus de 99% de sa valeur depuis 2002.
Malgré ces difficultés, l'Argentine reste un pays aux ressources considérables. Troisième producteur mondial de soja et détenteur de la troisième plus grande réserve de gaz de schiste au monde, le pays a le potentiel pour surmonter ses défis économiques. La question est de savoir si cela se fera au détriment de son système éducatif, longtemps considéré comme un modèle dans la région.
La mobilisation universitaire actuelle rappelle que l'éducation est au cœur de l'identité argentine. Dans un pays qui a donné naissance à des figures emblématiques comme le footballeur Lionel Messi et qui a été le premier en Amérique latine à légaliser le mariage homosexuel, la défense de l'université publique apparaît comme un nouveau combat pour la justice sociale et le progrès.
Alors que la grève se poursuit jusqu'au 17 octobre 2024, l'avenir de l'enseignement supérieur argentin reste incertain. La capacité du gouvernement Milei à concilier rigueur budgétaire et préservation d'un système éducatif de qualité sera déterminante pour l'avenir du pays.