Controverse autour de la réhabilitation du canal Rhin-Rhône en Alsace

Dans la région du Haut-Rhin, le paisible canal Rhin-Rhône traverse Artzenheim, offrant un spectacle de nature luxuriante. Cependant, ce havre de paix est au cœur d'une controverse qui oppose développement économique et préservation de l'environnement.

Le canal Rhin-Rhône, ouvert en 1933, s'étend sur 375 kilomètres, reliant le bassin du Rhône au Rhin. Cette voie navigable, dont la construction a débuté au 18e siècle, traverse trois régions françaises : Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Initialement conçu pour relier la mer Méditerranée à la mer du Nord, le canal a été partiellement abandonné dans les années 1990 en raison de son obsolescence.

Aujourd'hui, la région Grand-Est, propriétaire d'une section de 60 km en Alsace, envisage de réhabiliter une portion de 24,5 kilomètres entre Artzenheim et Friesenheim. Ce projet, estimé à 46,5 millions d'euros et soutenu en partie par des fonds européens, vise à développer le tourisme fluvial. Les autorités régionales prévoient le passage de 6 000 bateaux par an, générant des retombées économiques estimées entre 9 et 12 millions d'euros annuellement.

Cependant, cette initiative soulève l'inquiétude des associations environnementales locales. Depuis l'abandon partiel du canal dans les années 1960, la nature a repris ses droits, transformant les lieux en un habitat précieux pour diverses espèces protégées. Parmi elles, on trouve le muscardin, un petit rongeur arboricole, la grenouille de Lessona, le papillon grand mars, le chat forestier et la linotte mélodieuse, toutes des espèces menacées ou protégées en Europe.

Les opposants au projet craignent que les travaux ne perturbent gravement cet écosystème fragile. Pascal Lacombe, du collectif Le Chaudron des alternatives, s'inquiète :

"On va couper ce qui déborde, à droite et à gauche"

Cette déclaration souligne les craintes concernant la destruction potentielle de la végétation riveraine, cruciale pour la stabilité des berges et la biodiversité locale.

Les associations ont mandaté le cabinet d'avocats Huglo Lepage pour déposer un recours devant le tribunal administratif de Strasbourg le 27 septembre 2024. Elles dénoncent l'absence d'autorisation de dérogation pour les espèces protégées et le manque de mesures ERC (Éviter, Réduire, Compenser), un principe fondamental du droit de l'environnement français.

Francis Guth, de l'association Porte du Ried Nature, soulève également des préoccupations techniques. L'augmentation du tirant d'eau, nécessaire pour permettre la navigation dans les deux sens, pourrait exacerber les fuites existantes du canal. La solution proposée, consistant à creuser une tranchée de 5 mètres sous la piste cyclable pour imperméabiliser, soulève des questions quant à son impact sur les zones humides adjacentes, reconnues pour leur rôle crucial dans la biodiversité et la régulation des eaux.

Alors que le tourisme fluvial connaît une croissance en Europe depuis les années 2000 et que la navigation fluviale est considérée comme un mode de transport écologique par rapport au transport routier, ce projet met en lumière les défis complexes de l'équilibre entre développement économique et préservation de l'environnement.

Une manifestation est prévue le 5 octobre 2024 à Marckolsheim, principale ville sur le trajet du projet, illustrant la mobilisation croissante contre cette initiative controversée. L'avenir du canal Rhin-Rhône en Alsace reste incertain, suspendu entre les promesses de développement économique et les impératifs de protection de la biodiversité.