Martinique : L'adaptation agricole face à la pollution au chlordécone

En Martinique, les agriculteurs s'adaptent à la contamination des sols par le chlordécone, un insecticide utilisé jusqu'en 1993. Cette pollution durable pousse à une transition vers une agriculture plus responsable.

23 septembre 2024, 03:51  •  0 vues

Martinique : L'adaptation agricole face à la pollution au chlordécone

Dans les champs verdoyants de la Martinique, une bataille silencieuse se joue contre un ennemi invisible. Le chlordécone, un insecticide massivement utilisé dans les bananeraies jusqu'en 1993, a laissé une empreinte toxique durable sur l'île. Cette molécule, développée en 1951 et interdite aux États-Unis dès 1976, continue de défier le temps avec une demi-vie pouvant atteindre 30 ans dans l'environnement.

Waël Toto, agricultrice de 40 ans, incarne la résilience face à ce défi. Son exploitation au François, considérée comme une "ferme pilote", s'étend sur environ 5 hectares. Malgré la contamination du sol, elle poursuit l'œuvre de son père, diversifiant ses activités vers la transformation de produits frais et l'élevage. Cette adaptation illustre la transition nécessaire vers une agriculture durable dans un contexte difficile.

L'ampleur de la pollution est considérable. Selon José Maurice, président de la chambre d'agriculture, "11 000 à 12 000 hectares de terres sont contaminés" en Martinique. Cette surface représente près de la moitié des terres agricoles de l'île, qui compte environ 2 800 exploitants. L'évaluation précise de la contamination reste un défi, avec seulement 20% des zones à risque analysées à ce jour.

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Le scandale du chlordécone a éclaté en 2002, lorsqu'une tonne de patates douces contaminées a été saisie à Dunkerque. Cette découverte a déclenché une série d'actions judiciaires, dont une plainte pour empoisonnement en 2006. Malgré un non-lieu prononcé en janvier 2023, l'affaire n'est pas close. Une audience est prévue le 22 octobre 2024 à la cour d'appel de Paris, maintenant l'espoir d'une reconnaissance judiciaire pour les victimes.

La contamination au chlordécone ne se limite pas aux sols. Elle affecte également les eaux souterraines et de surface, s'infiltrant dans la chaîne alimentaire. Les poissons et crustacés sont particulièrement touchés, compliquant la situation pour une île où l'agriculture et la pêche sont des piliers économiques.

Face à ce défi, la recherche s'intensifie. Des méthodes de phytoremédiation sont à l'étude pour décontaminer les sols. Parallèlement, les agriculteurs adaptent leurs pratiques, privilégiant des cultures moins susceptibles d'absorber le chlordécone.

La Martinique, avec ses 350 000 habitants répartis sur 1 128 km², fait face à un défi de taille. L'agriculture, représentant environ 6% du PIB de l'île, doit se réinventer. La diversification est cruciale, l'île comptant plus de 80 variétés de fruits tropicaux.

Cette crise environnementale s'inscrit dans une histoire complexe. La Martinique, département français depuis 1946, porte encore les cicatrices de son passé colonial et esclavagiste. Aujourd'hui, elle doit concilier son développement économique, largement dépendant du tourisme, avec la préservation de sa riche biodiversité, reconnue comme un "point chaud" des Caraïbes.

L'adaptation à la pollution au chlordécone est un défi de long terme. Elle nécessite une approche holistique, intégrant santé publique, agriculture durable et préservation de l'environnement. Pour la Martinique, c'est une opportunité de repenser son modèle agricole et de construire un avenir plus résilient, en harmonie avec son écosystème unique.

"On est considéré par les institutions comme une ferme pilote"

Waël Toto, agricultrice martiniquaise

Cette transition vers une agriculture adaptée à la réalité du chlordécone est un exemple de la capacité d'innovation et de résilience des agriculteurs martiniquais. Face à l'adversité, ils réinventent leurs pratiques, ouvrant la voie à une agriculture plus durable et respectueuse de l'environnement.