La Tunisie face au défi de la rétention des talents numériques

La Tunisie lutte contre l'exode des cerveaux dans le secteur numérique. Une étude propose un nouveau modèle de gestion des carrières pour retenir les ingénieurs, mettant l'accent sur le développement continu des compétences.

24 septembre 2024, 08:28  •  0 vues

La Tunisie face au défi de la rétention des talents numériques

Le Maghreb, région comprenant principalement le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, fait face à un défi majeur : la fuite des cerveaux dans le domaine de l'ingénierie et des sciences. Ce phénomène affecte particulièrement la Tunisie, un pays qui, malgré ses efforts pour développer son secteur numérique, peine à retenir ses talents.

La Tunisie, avec ses 12 millions d'habitants, produit chaque année plus de 8000 ingénieurs. Cependant, le pays est confronté à un paradoxe : alors que le taux de chômage des diplômés avoisine les 30%, de nombreux ingénieurs qualifiés choisissent de quitter le pays. Cette situation s'explique en partie par l'écart salarial significatif entre la Tunisie et les pays développés, le salaire moyen d'un ingénieur tunisien étant environ trois fois inférieur à celui de son homologue français.

Pour comprendre ce phénomène, Amina Nadia Nasri, une chercheuse tunisienne, a mené une étude approfondie sur les motivations des ingénieurs du numérique à quitter leur emploi. Son travail, basé sur l'observation de plusieurs entreprises du secteur, met en lumière la nécessité d'une approche novatrice dans la gestion des carrières de ces experts.

La recherche de Nasri propose un modèle de gestion des carrières fondé sur une triple échelle d'évolution. Cette approche va au-delà des modèles traditionnels qui se limitent à une double échelle : hiérarchique et professionnelle. Le nouveau modèle prend en compte un aspect crucial pour les ingénieurs tunisiens : la possibilité de renouveler constamment leur expertise et de s'adapter à des projets innovants.

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Ce besoin de développement continu des compétences n'est pas simplement une stratégie de survie pour les entreprises, comme c'est souvent le cas dans les pays développés. En Tunisie, il est perçu par les ingénieurs comme une "condition existentielle". Les experts informatiques tunisiens considèrent que leur décision de rester dans l'entreprise - voire dans le pays - dépend largement de leur capacité à développer leurs compétences en innovation, à maîtriser les différentes phases d'un projet numérique, et à obtenir des missions à l'étranger qui valideront leur niveau sur le marché mondial.

Cette approche s'inscrit dans un contexte où la Tunisie s'efforce de se positionner comme un hub technologique. Le pays, qui a été le premier pays arabe et africain à se connecter à Internet en 1991, dispose aujourd'hui d'un taux de pénétration d'Internet d'environ 70%. Le secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC) représente environ 7% du PIB tunisien, avec plus de 300 entreprises spécialisées dans les services informatiques.

Les initiatives gouvernementales, telles que le programme "Smart Tunisia" et la stratégie "Tunisie Digitale 2025", visent à promouvoir l'industrie numérique et à créer un environnement propice à l'innovation. La Tunisie compte plusieurs technopoles dédiées aux TIC, dont El Ghazala à Tunis, et accueille régulièrement des événements internationaux sur l'innovation et les start-ups.

Malgré ces efforts, le défi de la rétention des talents persiste. La diaspora tunisienne, estimée à environ 1,2 million de personnes, contribue significativement à l'économie du pays à travers les transferts de fonds, qui représentent environ 5% du PIB. Cependant, pour les entreprises locales et les filiales de groupes étrangers, la perte de ces compétences reste un obstacle majeur à leur développement et à leur compétitivité sur le marché mondial.

La recherche de Nasri souligne l'importance pour les entreprises tunisiennes d'adopter une approche plus flexible et innovante dans la gestion des carrières de leurs experts en informatique. En offrant des opportunités de développement professionnel continu, des projets stimulants et des possibilités d'exposition internationale, les entreprises tunisiennes pourraient améliorer leur capacité à retenir leurs talents, même face à la concurrence salariale des pays plus riches.

En conclusion, la Tunisie se trouve à un carrefour crucial. Pour capitaliser sur son potentiel en tant que hub technologique et retenir ses talents numériques, le pays doit non seulement continuer à investir dans l'éducation et l'infrastructure technologique, mais aussi encourager les entreprises à adopter des modèles de gestion des carrières plus adaptés aux aspirations de ses ingénieurs. C'est en relevant ce défi que la Tunisie pourra pleinement exploiter son capital humain et renforcer sa position dans l'économie numérique mondiale.