La "consumation" : l'érosion silencieuse de la société martiniquaise

Le concept de "consumation" révèle l'impact destructeur du capitalisme mondial sur la Martinique. Ce phénomène érode les fondements sociaux et culturels, perpétuant un système colonial résiduel.

29 septembre 2024, 03:02  •  0 vues

La "consumation" : l'érosion silencieuse de la société martiniquaise

Dans le contexte économique et social de la Martinique, le concept de "consumation" introduit par l'économiste Michel Louis prend une signification particulière. Ce terme décrit l'érosion interne d'une société par un modèle économique mondial qui, sans contrainte apparente, détruit ses fondements culturels, politiques et sociaux.

La Martinique, département et région d'outre-mer français situé dans les Caraïbes, illustre parfaitement ce phénomène. Son histoire coloniale, remontant au 17e siècle, a laissé des traces profondes dans son tissu social et économique. Aujourd'hui, l'île fait face à de nombreux défis, notamment un taux de chômage élevé et une forte dépendance aux importations et aux subventions de la France métropolitaine.

Le système économique en place en Martinique combine un capitalisme mercantile avec une matrice coloniale résiduelle. Malgré des décennies de résistance, ce système persiste, générant une "invivabilité" qui se perpétue malgré des convulsions fréquentes. Cette situation est intériorisée par tous les acteurs, des décideurs français aux militants locaux.

Image

Les mouvements de résistance traditionnels, tels que la pensée politique, l'action syndicale et culturelle, semblent s'être figés dans un pragmatisme gestionnaire ou dans des postures désuètes. L'indépendantisme, autrefois fer de lance de la lutte anticoloniale, s'accroche à un manichéisme des années 1950, ses slogans décoloniaux n'étant plus que des incantations inefficaces.

La matrice coloniale résiduelle continue d'imposer une prééminence de l'économie sur l'existence humaine. Elle se manifeste par le verrouillage des filières lucratives, l'influence des lobbys dans les sphères décisionnelles, et une réification du vivant qui se traduit par l'empoisonnement des sols et la diminution des espaces agricoles.

Sous l'emprise du capitalisme, les précarités matérielles, culturelles, intellectuelles et spirituelles se sont amplifiées. En Martinique, ces précarités sont exacerbées par la persistance de la matrice coloniale : prééminence économique des mêmes groupes, ghettos raciaux, déresponsabilisation institutionnelle et isolement forcé dans la géographie caribéenne.

La situation économique de la Martinique est complexe. L'île dépend fortement du tourisme, de l'agriculture et des services. La banane et la canne à sucre, cultures historiquement importantes, côtoient le rhum comme produits d'exportation essentiels. Cependant, l'économie fait face à des défis majeurs, notamment la concurrence internationale et les impacts du changement climatique.

L'environnement de la Martinique n'est pas épargné par ces dynamiques. La biodiversité de l'île est menacée par l'urbanisation et les pratiques agricoles intensives. La pollution des sols par le chlordécone, un pesticide longtemps utilisé dans les bananeraies, reste un problème majeur de santé publique.

Sur le plan culturel, la Martinique présente une richesse unique, fruit de son histoire complexe. Le créole martiniquais, largement parlé aux côtés du français, témoigne de cette diversité. Cependant, l'île fait face à un exode des jeunes vers la France métropolitaine ou d'autres pays, menaçant la transmission de ce patrimoine culturel.

Le système éducatif, calqué sur celui de la France métropolitaine, peine à prendre en compte les spécificités locales. Cette situation contribue à perpétuer un sentiment de déconnexion entre l'éducation formelle et les réalités socio-économiques de l'île.

Malgré ces défis, la Martinique continue de chercher sa voie. Son statut de collectivité territoriale unique depuis 2015 et sa position de région ultrapériphérique au sein de l'Union européenne offrent des opportunités, mais aussi des contraintes. La question reste de savoir comment la société martiniquaise peut se réinventer face à ces forces de "consumation" qui menacent son tissu social et culturel.

"La colonisation, je le répète, déshumanise l'homme même le plus civilisé ; que l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l'entreprend."

Aimé Césaire, poète et homme politique martiniquais

Cette citation d'Aimé Césaire, figure emblématique du mouvement de la Négritude, résonne encore aujourd'hui dans le contexte martiniquais. Elle rappelle que les effets de la colonisation perdurent bien au-delà de l'abolition formelle de l'esclavage en 1848.

La "consumation" de la société martiniquaise est un processus complexe qui nécessite une réflexion profonde et des actions concertées pour être enrayé. Il s'agit de repenser les modèles économiques, sociaux et culturels pour créer un avenir durable et équitable pour tous les Martiniquais.