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La crise alimentaire à Cuba stimule l'agriculture urbaine innovante

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Face à une grave insécurité alimentaire, les Cubains se tournent vers l'agriculture urbaine. Des jardins communautaires émergent, offrant une solution partielle à la pénurie alimentaire persistante.

Dans la périphérie de La Havane, capitale de la plus grande île des Caraïbes, une scène inhabituelle se déroule. Des fonctionnaires, comme Sergio, se transforment en agriculteurs urbains pour faire face à une crise alimentaire croissante. Cette situation illustre les défis auxquels Cuba, avec ses 11 millions d'habitants, est confrontée depuis plusieurs années.

L'agriculture urbaine, née de la nécessité, est devenue une bouée de sauvetage pour de nombreux Cubains. Sergio, employé du ministère de la santé, cultive des tomates qu'il qualifie de "luxe". Ce phénomène n'est pas nouveau à Cuba, l'agroécologie étant promue comme solution durable depuis la "Période spéciale" des années 1990, lorsque l'effondrement de l'Union soviétique a plongé l'île dans une crise économique profonde.

Une récente enquête menée par Food Monitor Program en 2024 révèle l'ampleur de la crise actuelle : 96,27% des ménages interrogés rapportent des difficultés sérieuses pour se nourrir. La "libreta", le système de rationnement alimentaire introduit en 1962, est jugée insuffisante par 96,61% des répondants.

La situation actuelle est exacerbée par plusieurs facteurs. L'embargo américain, en place depuis 1962, continue d'affecter l'économie cubaine. La pandémie de COVID-19, malgré le développement de vaccins cubains, a aggravé les difficultés. L'inflation, qui atteignait 70% fin 2021, reste élevée à environ 30% actuellement.

Face à ces défis, les Cubains font preuve d'innovation. La transformation de bananes en farine, observée dans la banlieue de La Havane, illustre cette créativité. La banane plantain, aliment de base de la cuisine cubaine, et la mangue, fruit abondant sur l'île, deviennent des ressources précieuses.

L'histoire agricole de Cuba est marquée par des contrastes. Dans les années 1980, l'agriculture cubaine était considérée comme la plus moderne d'Amérique latine, principalement orientée vers l'exportation de sucre, de tabac et d'agrumes. Cependant, sa dépendance aux intrants importés l'a rendue vulnérable aux crises internationales.

"Cuba a beaucoup investi dans son agriculture et, dans les années 1980, elle était même la plus moderne d'Amérique latine. Mais cette production était principalement destinée à l'exportation en particulier pour le sucre, le tabac et les agrumes. Surtout, cette agriculture a toujours été très dépendante des intrants agricoles : carburant, semences et fertilisants. A chaque fois que ces intrants ont manqué, que ce soit lors de la chute du bloc communiste ou plus récemment avec la crise liée au Covid-19, la production agricole s'est effondrée."

Marie Aureille, anthropologue et doctorante à l'EHESS, spécialiste de l'agriculture cubaine, explique :

Aujourd'hui, l'agriculture urbaine et les jardins communautaires offrent une solution partielle à la pénurie alimentaire. Ces initiatives s'inscrivent dans une longue tradition de coopératives agricoles à Cuba et bénéficient du climat tropical favorable à la culture de nombreux fruits et légumes.

Malgré ces difficultés, Cuba maintient certains de ses atouts, notamment un taux d'alphabétisation proche de 100% et un système de santé reconnu pour son efficacité malgré des ressources limitées. Ces forces pourraient jouer un rôle crucial dans la recherche de solutions durables à la crise alimentaire actuelle.

L'avenir de l'agriculture cubaine repose sur un équilibre délicat entre innovation locale, comme l'agriculture biologique née du manque d'intrants chimiques, et la nécessité de modernisation. Le tourisme, devenu une source importante de revenus depuis les années 1990, pourrait également jouer un rôle dans la relance économique et agricole de l'île.

Mercer Bergeron

Économie